Au 43 d’une rue parisienne
Ce soir, la nostalgie s’invite. Tenace, elle me poursuit ces derniers jours.
Peut-être parce que la pluie est revenue, elle aussi.
Peut-être parce que je tourne des pages de ma vie, doucement, comme on feuillette un livre.
Peut-être et surtout parce que l’appartement où j’ai grandi, passé mes vertes années, rêvé d’horizons lointains, consolidé mes amitiés…
Cet appartement, mes parents s’apprêtent à lui dire au revoir.
Je revois l’immeuble, avec sa façade blanche un peu sale, ses fenêtres bleues.
Je revois le hall d’entrée, où des drames se sont joués, mais pas que…
L’ascenseur, les marches d’escalier, la petite entaille au deuxième étage.
Et notre troisième étage. Le palier, la lumière qui s’allume pour entrer dans l’appart. Sans faire de bruit quand on rentre de soirée, en se jetant sur la porte pour cacher la présence d’un chat…surprise !
Je revois mon chez-moi, cet endroit chaleureux, où le parfum de mes parents a toujours réussi à me rassurer. Comme un gros doudou olfactif.
Je savais que là, malgré les aléas de la vie, malgré les idées noires, j’étais en sécurité. A l’abri.
Je me revois dans mon lit, les fenêtres ouvertes sur une nuit d’été, à écouter les bruits de la rue. Auditrice anonyme de vies tout aussi anonymes.
J’entends les voix de mes grands-parents, de Nénette, de mes oncles et tantes, de mes cousins, des amis de mes parents avec qui on aura tellement ri.
Elles peuplent encore le salon. Résonnent dans nos cœurs.
Celle de nos voisins, si chers, avec qui nous avons grandi.
Je revois l’enfance et ses bêtises, les jeux partagés, les pièces de théâtres inventées, les bombes à eau jetées depuis les chambres. Je ris !
Les rires avec ma sœur, les chamailleries, aussi, les codes secrets, les tentes qu’on monte en douce pour mieux affronter la nuit.
La cuisine, le papier peint qui réveille l’imagination.
La table du petit-déjeuner toujours préparé la veille par ma maman. Le jeu des capitales, un grand moment !
Les soirées ouvertes par Jean Rochefort. Ce soir, y a Zorro à la télé !
Le canapé mauve, le tableau qui amène le Laos à la maison. Tableau tant regardé pour essayer de comprendre. Pour savoir comment c’est, là-bas, cette partie de moi.
J’enlève mes chaussures.
Je sens la moquette sous mes pieds. Pas feutrés.
Le fauteuil en osier dans l’entrée, combien de fois occupé, quand les heures tournent et les enfants ne sont pas rentrées.
Je revois la première soirée pyjama, avec A.
Moment magique, unique. C’est donc ça l’amitié ?
La première boum, bras tendus.
Les amies, fidèles, toujours présentes.
Les RDV au coin de la rue. Devant le coiffeur.
Les tours dans le quartier à cogiter, refaire le monde.
Se poser sur les sculptures de l’école du coin pour ne rien faire. Juste être ensemble. Être là.
La source.
L’épicier qui surveille et qui veille. Protecteur attentif et discret des jeunes filles qui rentrent tard.
L’éboueur du matin, tape dans la main. On papote, on se donne les nouvelles et on prend son train.
Chez Mahfoud, en face, toujours ouvert. Sourire large.
L’école primaire. Les copains du quartier, métissage assuré !
Le foyer d’à côté. La place. Le Palace !
Premier ciné. Yeux qui brillent. Première pierre d’un rituel avec mon père.
L’immeuble sur ma droite, avec sa façade si spéciale. Couleurs criardes, géométrie, et ce visage. Quelle drôle d’idée !
Je revis ces moments où on comprend qu’on grandit. Au revoir Léocadie.
La tristesse infinie quand un coup de fil vous enlève une personne aimée. Adieu Pépé !
C’est dans ces lieux, ces pièces que se sont forgées les idées, les rêves, les espoirs, la rage, la révolte. Moteurs d’une vie. Déclencheurs d’évasion.
Ça y est, j’ouvre la porte de ma chambre.
Je ferme les yeux. Tout est là.
Je m’approche de la fenêtre.
Je l’ouvre, m’appuie sur le rebord.
Je regarde ma rue.
Je cherche ce ciel qui toujours se cache derrière les immeubles. Je respire. Je m’imprègne de mon enfance, de mon adolescence, de cette partie de ma vie qui m’a menée vers celle que je suis aujourd’hui.
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui.
Je continue la liste dans mon carnet.
Il y a des choses qu’on garde pour soi. Qu’on chuchote seulement au papier.
J’emporte toutes ces petites choses si importantes, ces petits bonheurs attachés à ce numéro 43 .
J’emporte tous les souvenirs, l’atmosphère, tous ces petits bouts de vous qui avez embelli ma vie et surtout,
beaucoup d’amour.
Merci l’ami !