Hirondelle un jour, hirondelle, toujours
Madame Linh vend des rouleaux de printemps.
Depuis 6 ans maintenant, elle est installée dans un virage de la rue 152, au sein du district 9 de Saigon.
Tous les matins, à 5h35 exactement, elle plante le décor et installe avec soin son stand à roulettes. Avec des gestes sûrs, elle organise son commerce.
D’abord, la petite table en laiton. Tout à côté du chariot ambulant. La petite chaise pliante , ensuite , en face de la table.
Elle s’occupe enfin des vitres du chariot. Elle s’applique à bien les nettoyer. Que ce soit propre, net, pour que le client puisse constater en un seul coup d’œil que sa marchandise est de qualité.
C’est seulement après avoir effectué ce premier rituel que Madame Linh sort de ses gros sacs de toile les ingrédients pour préparer ses rouleaux. Elle les étale sur la petite table et les agence harmonieusement.
Elle sort également ceux qu’elle a réalisés à la maison, avant de partir . Ceux-là, elle les place tout de suite dans la vitrine. Les travailleurs ne tarderont pas et ils auront faim. Elle les connaît bien désormais. Elle leur prépare ce qu’ils aiment. Elle prend soin d’eux. Elle les gâte.
Hanh Thu apprécie ses rouleaux avec du piment bien écrasé réparti tout le long de la crevette.
Pour Minh Thien, elle ajoute toujours un petit supplément d’ail.
Et pour son préféré, son jeunot, comme elle dit, elle dépose un soupçon de coriandre en plus. Rien que de penser à Bao Lam, son visage s’éclaire. Il est si gentil. Il a toujours un mot pour elle, pour la faire rire. Même quand il est en retard. Et il l’est souvent. Elle sourit.
Les autres rouleaux, elle les prépare sur le moment. Installée à l’ombre du frangipanier. Délicatement, elle assemble les ingrédients sur la pâte de riz qu’elle a pris soin d’humidifier au préalable. Comme un grand puzzle parfumé. Chaque pièce a sa place.
Elle fait particulièrement attention aux crevettes. Elles sont facétieuses les crevettes et veulent toujours s’échapper. Voir ailleurs si l’eau est plus claire. Elle tient cette idée de sa grand-mère qui lui racontait toujours des histoires extraordinaires. A chaque fois qu’elle se remémore cette histoire, Madame Linh glousse un peu. Discrètement.
La pile de rouleaux grandit au fur et à mesure que les mains expertes de Madame Linh s’affairent. Son front ridé penché sur son ouvrage abrite les pensées de la journée. Compte les rouleaux qu’il lui faudra vendre si elle veut acheter ce beau vélo rose avec la sonnette « qui fait comme les pompiers » pour sa petite-fille.
Elle est confiante. Elle sait que l’estomac ne s’arrête jamais de consommer.
Une moto s’arrête.
Une voix connue lui demande si elle va bien. Si ce matin, les crevettes ont bondi dans la bonne direction.
Madame Linh rit. Un rire clair. Spontané. Un rire de jeune fille.
Elle regarde avec malice le blagueur, se lève et se dirige vers la vitrine du chariot.
Cérémonieusement, elle enfile son gant en plastique pour attraper les rouleaux. 3. Comme d’habitude.
« Tu me diras ce que tu penses de la coriandre, mon petit. Elle me semblait particulièrement fraîche ce matin. Je te mets de la sauce,hein? Avec un peu de piment? Eh oui, c’est meilleur comme ça. »
Bao Lam la remercie, les yeux gourmands.
Madame Linh sent qu’il hésite à partir. Il resterait bien encore un peu, assis là, à écouter les histoires de sa vendeuse favorite.
Il resterait bien encore un peu dans ce virage de la rue 152 où l’on s’arrête pour acheter des rouleaux de printemps mais surtout pour y suspendre le temps.