Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas y aller. Mais je ne peux rien dire. Elle va avoir trop peur sinon. Elle va s’inquiéter. Ma mère, elle s’inquiète toujours. Je la connais, elle va plisser le nez et je vais voir arriver toute la douleur du monde dans ses yeux. Elle va sûrement pleurer. Elle pleure tout le temps en ce moment.
Je ne comprends pas ce qui s’est passé. Pourquoi moi ? J’ai beau retourner ça dans ma tête, je ne comprends pas. Il y a encore deux semaines, tout allait bien. Je trainais avec Sam et Nora. On rigolait, on faisait des plans pour le week-end. Et puis, là, plus rien. Enfin si. Trop. Trop de mots qui font mal, trop de mots qui circulent dans mon dos. Des bruits, des chuchotements quand je passe. Trop de violence sur mon corps pour m’empêcher d’exister. Je ne comprends pas. J’ai mal au ventre. Une grosse boule, bien serrée. Elle est logée en plein milieu, juste derrière le nombril.
Zut, elle m’appelle. Il faut que je me prépare. J’ai pas envie. J’ai envie de rester dans mon lit toute la vie. J’ai envie d’être dans le silence. Si seulement je pouvais redevenir petite fille et passer ma journée dans les bras de maman. Dans ses bras, je ne risquerai rien. Ils ne pourraient pas m’atteindre.
Je ne veux plus les voir avec leurs sourires d’ogres. Je ne veux plus devoir passer devant eux et faire comme si j’allais bien, comme si leurs flèches ne m’atteignaient pas. Alors que je saigne. Oh, je saigne tellement ! J’ai mal, maman, si tu savais. Mal à en crever. Hier, j’ai cru que j’allais rester cachée dans les toilettes du collège. Ils m’ont déchiré mon manteau. Pendant que j’étais en classe d’anglais. Mon manteau que Mamie m’a offert pour mon anniversaire. « Un manteau bleu électrique pour une jeune fille du tonnerre ! » avait dit Mamie avec son accent du sud. J’ai dit à maman que je m’étais accrochée à la grille. Je crois qu’elle ne m’a pas crue. Elle commence à se poser des questions. Je l’ai entendue parler à voix basse avec papa hier soir. Peut-être que je devrais lui dire ? Et si elle ne me croit pas ? C’est vrai, elle connaît Nora depuis toujours, elle dira peut-être que j’exagère ou que c’est moi qui ai fait quelque chose de mal. Elle adore Nora. Moi aussi, j’adorais Nora. Jusqu’à ce qu’elle se transforme en bourreau. En cauchemar qui me hante et me dévore à chaque instant. Je sens que je vais pleurer. La boule s’est déplacée dans ma gorge. Elle serre. Elle serre tellement. Ça me pique. Un jour, j’ai lu dans un journal, « l’adolescence est un cactus ». Mordante et solitaire.
Elle m’appelle. Je me concentre sur ma respiration. Ça bloque. Je crois que je ne vais pas y arriver. J’entends sa voix qui se rapproche. On doit être en retard. Mes yeux débordent. Je serre les lèvres. Fort. Sa main qui tape doucement à la porte fait tomber mes dernières résistances. Cette douceur dans la frappe fait écho aux moqueries de Nora, aux coups de pieds et aux croche-pattes décochés par derrière. Je sanglote. Maman, viens, s’il te plaît, ça va pas. J’ai mal. Si mal.