Le condor passe et s’envole

Alain sifflotait en se balançant sur sa chaise. Simon et son pote Garfunkel l’accompagnaient, comme tous les matins. « Ça c’est de la musique », ne pouvait-il s’empêcher de penser. Sacrée époque! Alain ferma les yeux et s’amusa à passer en revue toutes les personnes qu’il avait croisées à l’époque. Celles qui n’étaient restées que des rencontres de passage et celles qui s’étaient tapé l’incruste dans sa vie. Celles qui comptaient aujourd’hui. Ou qui avaient compté. Il revit alors le visage de Marlène. Une rousse flamboyante au rire communicatif. Une nana qui lui avait retourné la tête ce soir d’avril 1969. Putain, ce qu’elle était belle! Ils avaient vécu une histoire passionnelle et passionnante, qui avait duré ce qu’elle avait duré mais qui l’avait définitivement changé. Ensemble, ils avaient pris la route, la vraie, sans argent, juste leur peau. A la rencontre des gens. Et putain, ça aussi, ce que c’était beau! Et puis, il y a eu cet accident. Connerie de la vie. Elle s’en était sortie, mais ce n’était plus la même. « Elle ne marchera plus » qu’il avait dit le docteur. Et elle a décidé de le quitter, de ne pas devenir son fardeau. Il avait protesté évidemment, mais avec le recul, il se disait qu’il avait trop facilement accepté sa décision. Que peut-être elle aurait voulu qu’il se batte, qu’il gueule que non, qu’il s’en foutait, qu’il la porterait sur ses épaules partout où son cœur aurait envie de la mener. Mais il avait seulement dit « D’accord, si c’est ce que tu souhaites. » La phrase des lâches. Alain rouvrit les yeux. Son sifflet ne marchait plus. Ses lèvres tremblaient légèrement et il déglutit difficilement. Le condor s’envolait haut, et avec lui les vestiges de son histoire.