Un retour inespéré

Elle ne reviendrait pas. C’est ce qu’il avait pensé. Maintenant, ils étaient tous là à attendre comme des nouilles qu’un remplaçant se pointe pour les prendre en mains, comme ils disaient dans la salle des profs. Sauf que les remplaçants, il avait entendu qu’ils ne voulaient plus venir ici. Trop dur. Genre, c’était le Kaboul de l’Education Nationale. On faisait même des paris dans la cité. Qui viendrait plus d’une fois ? Qui tiendrait la journée sans péter un câble ? Monsieur Guérino, le directeur, les surveillait. Il leur avait demandé de sortir leurs affaires dans le calme, puis de prendre une feuille blanche pour y réaliser un dessin. Yasmina avait tout de suite applaudi à cette idée. Evidemment.

Un bruissement de papiers s’élevait depuis quelques minutes déjà quand une tête rouge et échevelée passa la porte avec fracas. « Je suis vraiment désolée ! Excusez-moi ! C’est le train ! Il est tombé en panne et on m’a dit de prendre un autre train…mais il n’y avait pas de train alors  j’ai dû attendre un bus et…j’ai dû…trouver…autre transport…mais bon, je…je suis là, je suis là ! »

Sami observait la scène, interloqué. Elle était revenue la maîtresse, et ce, même après qu’un signe du destin, le train qui avait refusé de quitter le quai, lui ait fait sentir qu’il valait mieux qu’elle s’en retourne chez elle. Elle était là, telle une écrevisse qui fuyait la marmite, à demi ébouillantée. Sauf que la marmite, c’était eux ! Son gilet traînait derrière elle, accroché désespérément à son cartable. Il avait même attrapé dans ses boutons un vieux mouchoir qui faisait du stop sur la route. Sami grimaça. C’était un peu dégueu. Son regard se fixa sur le col de chemisier de la jeune femme. Celui-ci était tiraillé entre se tenir droit pour conserver un tant soit peu de dignité ou s’affaler complètement, écrasé par le poids de la crasse et de la transpiration avec lesquelles il avait flirté lors de son voyage jusqu’à l’école. Miskine ! Elle se choppait la honte quand même ! « Prenez le temps de vous installer Mme Santangello. Je reste avec vous jusqu’à ce que vous soyez prête. » Un sifflement lourd d’insinuations fusa. « S’il vous plaît. » D’un ton ferme et posé, Monsieur Guérino fit taire les apprentis commères. Mme Santangello posa vite ses affaires, dégagea les mèches de cheveux qui lui collaient sur le visage et lui bouchaient la vue, épousseta son chemisier et remit de l’ordre dans sa tenue. Ensuite, elle sortit le cahier de suivi, souffla un bon coup, s’aperçut qu’elle avait oublié de prendre sa trousse, replongea dans le cartable, fouilla un moment, attrapa sa boîte à stylos et d’un air qui se voulait détaché remercia le directeur : « Merci Monsieur Guérino, je vais pouvoir commencer maintenant. » Le directeur, lança un dernier regard circulaire avant de traverser la salle. Il salua la jeune enseignante et referma la porte derrière lui.

« Ca pue trop ! » lança Kevin du fond de la pièce. Un fou rire général s’empara de la classe. La journée démarrait.