La nuit s’apprête à tomber. Il fait froid, plutôt gris.

Maman nous a mis nos belles robes en velours vert sombre. Vert sapin, comme…le sapin ! Riai-je…Oui, je sais, il m’en faut peu. Des robes en velours vert sombre, donc, avec des rubans rouges.

Elle nous habille toujours de la même manière maman, surtout pendant les fêtes. Elle doit croire qu’on ne se ressemble pas assez avec ma sœur. Il faut donc aider les gens à reconnaître notre lien de parenté !

On est arrivé assez tôt dans la grande maison. La grande maison au pied de la montagne. La maison aux mille et une chambres. Aux chambres aux mille et une couleurs. Aux mille et une merveilles.

Cette maison, je la connais depuis toute petite, et pourtant elle recèle toujours autant de secrets,de mystères. Et c’est tant mieux. Je ne cherche pas à les découvrir tous. Au contraire, je les savoure un à un, au fur et à mesure des rencontres.

Cette maison, c’est surtout celle du bonheur, de la chaleur humaine. Je l’ai toujours connue vivante, emplie de rires, de discussions animées, de gens qui s’aiment et qui se disputent pour se rabibocher ensuite. Une maison qui vit. Une maison généreuse. A l’image de ses propriétaires.

Ce soir, nous sommes invités dans cette grande maison pour y passer le réveillon de Noël. Réveillon. Ce mot, il m’a toujours intriguée. Pourquoi appeler cette soirée « Réveillon » alors que nos parents nous disent qu’il faut qu’on aille se coucher car le Père Noël va arriver ?

Certaines choses m’échappent.

Nous entrons dans la maison, et à peine les manteaux déposés, et les bisous faits, nous courons avec ma sœur dans le salon. Un énorme sapin se dresse près de la fenêtre ! Il est lumineux, tout enguirlandé, il brille de 4000 feux ! On le regarde les yeux ronds comme des soucoupes, le cou à 90 degrés en arrière (aie, ça fait mal !), la bouche grande ouverte ! C’est un spectacle magnifique !

 

 

Je sens alors une main qui se glisse doucement sur mon épaule. Péniblement, je ramène mon cou vers l’avant puis tourne ma tête vers la droite, à l’endroit où s’est déposée cette chaleur nouvelle. Je pousse alors un cri ! … et bondis comme un marsupilami !

Une main poilue, velue, monstrueusement épaisse, avait atterri sur mon épaule !

Je lève les yeux et là, horreur, je découvre un gorille gigantesque, les yeux noirs, la bouche grimaçante !

Ma sœur qui a aussi peur que moi s’enfuit en pleurant. Je suis coincée devant l’animal, mes jambes tremblent, je crois ma dernière heure arrivée. Et le jour de Noël en plus ! Je  ne risque plus être réveillée pour le coup !

Le cœur battant, je vois alors les mains du grand singe, qui n’a pas poussé un son jusqu’à présent, se diriger vers sa tête. Il les place au niveau de ses oreilles et commence à tirer dessus !

Mais que fait-il ? Il joue avec mes nerfs !

Les larmes montent quand je constate que sa peau se plisse, se déplace…Que va-t-il se passer que je ne veux pas savoir ?

Finalement, dans un grand PLOP , sa tête s’échappe de son cou !

Je ferme les yeux, je crie, encore. Je n’ose imaginer l’affreuse image que j’aurai à affronter en retrouvant la vue.

« C’est moi, c’est Bertrand !… Regarde, ce n’est que moi… Je suis désolé…Je t’ai fait peur… »

Bertrand, mon cousin géant, avait eu l’idée du siècle ! Se déguiser en gorille pour animer la soirée ! Pour l’animation, c’était gagné ! Tous les adultes ont accouru dans le salon, ma mère en tête, poussant des cris, appelant déjà les pompiers et police secours.

J’en ris aujourd’hui, beaucoup, mais sur le moment, je peux t’assurer que je l’aurais mangé tout cru mon cousin!

Pourquoi j’ai eu envie de te raconter cette histoire aujourd’hui ?

Déjà pour les souvenirs et les sensations que me rappellent cet épisode :

la chaleur qui se dégageait de cette maison, les repas partagés,

la table toujours mise pour qui aurait faim ou envie de compagnie,

tout cet amour et cette générosité…

Et puis pour le rêve, la fantaisie, les chocs, les mondes qui s’ouvrent le soir de Noël.

Les faux pas aussi, la tendresse, l’envie de faire plaisir…

J’ai fini la soirée avec une main de gorille dans la mienne, à bien vérifier qu’elle n’était pas réelle.

A me sentir unique d’avoir un cousin qui était capable de procurer ce genre d’émotions !

Un cousin qui m’avait ouvert un monde où on pouvait jouer avec les apparences et s’inventer des personnages même quand on devient grand.

Et crois-moi, pour un souvenir de Noël, c’est un sacré souvenir !

 

Et toi quel est ton souvenir de Noël le plus cocasse, le plus étrange, le plus inoubliable, celui qui tu aimerais partager ?